Renan Luce, chansons de traverse
REVELATION. Avec «Repenti», premier album à l'imaginaire débordant, ce jeune chanteur breton affine un univers remarqué d'abord sur scène. Portrait d'un auteur marqué par Brassens, qui excelle à investir les zones d'ombre.
Olivier Horner
Mercredi 27 septembre 2006
«Cherche regard neuf sur les choses/Cherche iris qui n'a pas vu la rose/Je veux brûler encore une fois/Au brasier des premières fois...», chante Renan Luce dans «L'Iris et la rose». La première strophe pourrait faire figure de devise au répertoire de ce jeune homme de 26 ans béni de talent. Tant son écriture tragi-comique se révèle d'une finesse exemplaire. Et d'un imaginaire débordant qui ne mène que rarement là où on l'attend: «Je me laisse embarquer moi-même. Par les rimes, mes envies, mes histoires sur une trame de départ.»
Français de Morlaix, dans le Finistère, Renan Luce effectue en fait une des plus palpitantes entrées en chanson de ces dernières saisons. Dans Repenti, premier album porté par une insidieuse et mélancolique chanson éponyme aux accents siciliens, il trempe sa plume impressionniste dans une encre jamais baveuse. Ici, on sourit gentiment, davantage qu'on rit franchement comme c'est le cas chez Bénabar, dont il a assuré les premières parties, ou Vincent Delerm.
L'auteur de Repenti se fait ainsi souvent voyeur pour épier ses contemporains. Il se glisse aussi volontiers dans la peau de loups solitaires aux destins cabossés, aux manières pas tout à fait catholiques. Procédé le plus sûr pour emmener l'auditeur sur des chemins de traverse. Renan Luce: «Ce que j'aime chez les gens solitaires ou timides, c'est qu'il leur arrive souvent des choses incongrues et insoupçonnables. J'aime explorer de façon plus générale les zones cachées. Ces non-dits qui complètent une identité. Et si je suis attaché au mode tragi-comique, c'est parce qu'il permet de multiples rebondissements dans l'écriture.»
D'ailleurs, Renan Luce écrit long. Ne répète jamais trop les couplets. Il laisse courir son imaginaire sans peur. Mais toujours avec un point de vue. Un angle bien précis pour dérouler ses scénarios. Sur l'intimiste «Je suis une feuille», le Breton retrace poétiquement quelques-unes des mille vies fantasmées d'un papier léger à l'origine de bien de hauts faits. Bienfaisants ou non.
De recoins en zones d'ombre, d'âmes en peine en fantômes passés, Renan Luce traque les souvenirs, fouille dans la gamme des sentiments. Une légère brisure dans sa voix ajoute au charme de ce qu'on peut qualifier sans gratuité d'«univers». Affirmé encore musicalement en empruntant autant au folk qu'au blues-rock façon Tom Waits, à la pop qu'aux ambiances de bastringue ou valsées. Toutes les atmosphères de son répertoire sont soigneusement orchestrées. L'acoustique domine - piano, guitare, contrebasse - et les mélodies s'avèrent très légères, aériennes ou brumeuses.
Happé par la chanson au terme de sa scolarité obligatoire, alors que sa prime formation musicale s'est faite au conservatoire dont il n'était pas un assidu (piano saxophone), Renan Luce s'est mis à écrire quand il a troqué pour quelques francs son saxo pour une guitare. Il lui confie d'abord ses états d'âme, avant d'élargir peu à peu la focale de ses chansons. En la matière, son «maître d'écriture» avoué sera Brassens: «C'est là que je me suis pleinement replongé dans son répertoire d'une richesse incroyable, tant côté textes que musicalement.» Sur scène, comme récemment à Genève, il aime d'ailleurs reprendre «L'orage» de celui dont on commémorera bientôt les vingt-cinq ans de disparition.
Sinon, Nougaro, Moustaki et Brel s'écoutaient en famille, puis Miossec, Louise Attaque et Dominique A le touchent au cœur à l'adolescence. Un enrichissement par strates successives, dont les Beatles côté anglo-saxon constituent une autre trame de fond. L'expérience de la scène passe ensuite pour Renan Luce par la bouillonnante Rennes (études) et la boulimique Paris (travail de graphiste ces trois dernières années): circuit des cafés-concerts, et tout s'accélère. Repéré entre autres au printemps dernier à Genève (Festival Voix de Fête), il décroche un «Prix pros». Seul sur scène, guitare-voix, il remet cela un peu plus tard au prestigieux festival de chanson Alors chante!, à Montauban. Il y glane cette fois le Prix du public.
Courtisé par plusieurs maisons de disques, c'est au final Universal qui publie son attendu Repenti. Une entrée en matière qui ne trahit aucun espoir.
Repenti (Barclay/Universal).
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